Contes d'Horreur et d'Aventures, par John Flanders
par François RIVIERE


Ce qu'Albert Van Hageland ne dit pas dans sa préface à ce recueil de contes (inédits en France) de John Flanders-Jean Ray, c'est que celui-ci fit sa première apparition dans notre pays en 1927, découvert par André de Lorde et Albert Dubeux, alors qu'il venait tout juste de publier ses Contes du Whisky, et que ces deux découvreurs de talents noirs l'incluèrent dans leur passionnante et rarissime anthologie des Maîtres de la peur. Il fallut la naissance de Mystère-Magazine puis de Fiction pour que Roland Stragliati parvienne à imposer le talent du conteur gantois auprès des amateurs. Malpertuis fut l'un des premiers volumes de la collection "Présence du Futur". Cependant, on dut attendre la mort de l'auteur; survenue en 1964, pour que, grâce à la réédition de tout Jean Ray -La production de J. M. R. De Kremer parue sous ce nom- il connut enfin le succès auprès d'une nouvelle génération d'aficionados.
Robert Laffont entreprit l'édition en volumes club des Oeuvres complètes... restées à ce jour incomplètes. Mais qu'importe puisque, sur la lancée, Marabout sortait de l'oubli ces étonnants fascicules relatant les aventures de Harry Dickson, composés à une cadence étonnante, de façon quasi automatique, et tirant toute leur poésie de leur faiblesse même. Il est d'ailleurs regrettable que l'éditeur ait pratiqué de sombres coupes dans ces textes. En plus de la publication, à Anvers, par les soins de Danny de Laet, des Carnets d'Harry Dickson qui recensent avec minutie et un zèle infatigable les moindres écrits de M. De Kremer, il existe en Belgique une Fondation Jean Ray, et depuis peu, un Prix Jean Ray qui vient d'être décerné pour la première fois. C'est la consécration.
Pour couronner cela, Albert Van Hageland, vieil ami et agent littéraire de Jean Ray, entreprend la publication en recueil des quelques deux cents contes écrits sous le nom de John Flanders pour différentes revues et notamment les publications de l'Abbaye d'Averdobe. Les textes (romans brefs et short-short stories) de ce premier recueil sont regroupées en trois rubriques: Contes d'horreur et fantastiques, Contes d'aventure et Contes marins. Albert Van Hageland a bien raison de souligner que, parmi ces nouvelles, il en est beaucoup qui surpassent des textes signés Jean Ray et qu'il serait vain de vouloir mépriser cette production pour une simple raison pseudonymique. Aussi bien Jean Ray, qui usa d'une vingtaine de pseudonymes au moins au cours de sa féconde carrière, ne cessa jamais d'oeuvrer dans un genre très personnel qui mêle de façon unique l'épouvante, la SF, le populisme, le roman policier et le traditionnel roman d'aventures (sur terre et sur mer).
L'auteur de La ruelle ténébreuse, c'est indéniable, appartient tout autant au domaine anglo-saxon qu'à cette terre flamande qui, semble-t-il, l'accueillit par mégarde. Mais il serait impardonnable de ne pas discerner cette appartenance à une séculaire tradition belge, tout autant flamande que wallone, qui unit pêle-même Breughel, Ghelderode, Maeterlinck, Ensor, la plupart des peintres symbolistes (Delville et Degouve de Nuncques notamment), Paul Delvaux et même un auteur de bandes dessinées, E.P. Jacobs. Ce qui n'empêche pas les influences anglo-saxonnes, absolument évidentes et qui font que Jean Ray fut presque exclusivement nouvelliste, maniant l'art de la short-story avec une maestria assez peu coutumière en Europe. De plus, il semble que le sang de Dickens coule dans ses veines lorsqu'il décrit Londres et ses maléfices ou lorsqu'il met en scène des personnages chauceriens jusqu'au bout des lèvres, dans ses Nouveaux contes de Canterbury.
Jean Ray donne à la notion de fantastique naturel toute sa valeur. Sa langue, superbement concrète, imagée, poétique, excelle à suggérer l'indicible à partir de décors quotidiens. Il n'y a que Jean Ray pour brosser un décor anodin, décrivant une scène banale en apparence, camper un personnage haut en couleurs dont les traits vont soudain se déformer tandis que le décor bascule en une quatrième dimension. Jean Ray avait une belle devise: "Laisser aller l'imagination, laisser faire le mystère". C'est là le secret de son oeuvre.

D'aucuns ont fait de ce prodigieux conteur un personnage de légende. La vérité n'est peut-être pas aussi glorieuse ni aussi exaltante. Mais qu'importe ! L'oeuvre est assez ample et riche pour nourrir à satiété les lecteurs les plus exigeants.

Dans ce gros volume de contes signés John Flanders, le miracle encore une fois se produit dès les premières lignes de l'étonnant Ecrit dans le vent, la fascination opère, le style vous prend au ventre et ne vous lâche plus. Le mystère sous toutes ses formes -et il en est de bien surprenantes-, la terreur la plus grande, la peur savamment distillée, d'inoubliables et monstrueuses figures, voilà ce qu'on trouve dans ce carrousel de maléfices, et puis aussi cette inimitable voix de l'un des plus prestigieux scribes de la littérature fantastique.

Contes d'horreur et d'aventures par John FLANDERS : U.G.E., collection 10/18, n°681.


© François RIVIERE, reproduit avec son autorisation.



Retour à la page Jean Ray dans Fiction.
Retour à la page des Contes d'Horreur et d'Aventures.