Harry Dickson, un historique


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LA GENESE

       L'histoire de Harry Dickson, le personnage, débute avec l'apparition, en décembre 1886, d'un détective mondialement connu: Sherlock Holmes. La création de Arthur Conan Doyle aura un succès incroyable, au point d'en effacer outre le reste de l'oeuvre de l'auteur, l'auteur lui-même. Devant la notoriété grandissante des aventure du détective et de son acolyte, le docteur Watson, certains éditeurs vont flairer un filon et lancer à leur tour la publication d'aventures d'un détective et de son faire-valoir. On trouvera ainsi une multitude de fascicules dans tous les pays du monde.
       Si certains auteurs et éditeurs auront le courage de créer un nouveau personnage plus ou moins inspiré de Sherlock Holmes, d'autres ne s'embêteront pas avec tout cela et feront écrire par des tâcherons des aventures de Sherlock Holmes sans l'accord de Conan Doyle.
       En Allemagne, le 17 janvier 1907, le premier fascicule d'une série de 230 verra le jour. Son titre : "Detectiv Sherlock Holmes und seine weltberühmten Abenteuer" ("Sherlock Holmes et ses plus fameuses aventures"). Les éditeurs de Conan Doyle en Allemagne, voyant que le personnage était réutilisé sans aucun droit, firent pression afin de faire disparaître le nom de Sherlock Holmes de ces parutions. L'affaire fut entendue et dès le 11ème numéro, la série devint: "Aus dem Geheimakten des Welt-Detektivs" [A.G.W.D.] ("Issus des dossiers secrets du roi des détectives"). Toutefois, les éditeurs de Conan Doyle ne virent pas (ou ne voulurent pas voir) que même si la couverture ne le mentionnait pas, le héros s'appelait toujours Sherlock Holmes à l'intérieur du fascicule.
       La maison d'édition à l'origine de cette série, et de bien d'autres, la "Verlagshaus für Volkliteratur und Kunst", bien que située à Berlin, avait des annexes dans beaucoup de villes de la planète. Ainsi, des traductions de plusieurs de ses séries virent le jour un peu partout dans le monde : en France (1907), en Suède (1908), au Portugal (1908), en Espagne, au Mexique et en Argentine (avant 1914). Notons que les éditions portugaises, espagnoles et sud-américaines étaient signées Conan Doyle. Ces éditions pirates ont donc permis de faire connaître le personnage de Sherlock Holmes dans des pays que ne touchait pas l'oeuvre de Conan Doyle.
       C'est en 1907, le 15 octobre exactement, que l'éditeur "la nouvelle populaire" fait paraître en France un nouveau fascicule, "Les dossiers secrets de Sherlock Holmes". La publication et la traduction de l'allemand en est assurée par Fernand Laven. Là aussi, les éditeurs de Conan Doyle firent pression et le titre devint, dès le numéro 2 : "Les dossiers secrets du roi des détectives". Et là aussi, Sherlock Holmes était présent à l'intérieur du fascicule. Ne paraîtront que seize fascicules jusqu'en mars 1908. L'importance de cette série française sera montrée plus loin, puisqu'elle fera partie intégrante de la série des "Harry Dickson".
       En décembre 1927, l'imprimeur-éditeur hollandais "Roman-, Boek- en Kunsthandel" fait paraître la première traduction néerlandaise des A.G.W.D. Le titre de cette série était "Harry Dickson de amerikaansche Sherlock Holmes". Il y aura 180 fascicules bimensuels. C'est la première fois, dans cette longue et tortueuse histoire, que le nom de Harry Dickson apparaît.


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LA NAISSANCE

       Qui a créé le nom "Harry Dickson" ?
       A cette question, qui n'est finalement pas essentielle, certains vont citer Jean Ray.

       Le nom de Harry Dickson apparaît donc pour la première fois le 1er décembre 1927. Jean Ray, qui était en prison à cette période (depuis le 6 mars 1926, et ce jusqu'au 1er février 1929), n'a donc pas pu inventer le nom. Et même si l'auteur avait été libre, celui-ci n'avait aucune relation avec la maison d'édition néerlandaise.
       Bien que le héros dont nous parlons soit "né" en décembre 1927, le nom qu'il porte est apparut bien auparavant. En effet, en 1913 (oui, il n'y a pas d'erreur typographique) le titre Les aventures de Harry Dickson fait sont apparition sur un écran de cinématographe. Six courts-métrages muets, faisant partie de ce genre cinématographique que l'on appelait les serials, constituaient une grande aventure à suivre en six numéros.
       Cette série fut réalisée par René Plaissetty et le personnage du détective, incarné par Edmond Van Daële. Pour information, René Plaissetty était un factotum de la Gaumont ; son oeuvre a disparu. On ne connaît de lui que le titre de 6 films, dont un seul a semble-t-il survécu : L'ile sans nom, un bon film d'aventure avec un titre, il est vrai, qui pourrait être celui d'un Harry Dickson). Quant à Edmond Van Daële (1888-1960), son rôle le plus célèbre fut son incarnation de Robespierre dans le Napoléon d'Abel Gance en 1925-27. Si notre lecteur a des renseignements sur ce serial, sur le réalisateur ou l'acteur, l'auteur de ces lignes lui serait reconnaissant de se manifester auprès de lui.
       Afin d'alimenter le dossier sur l'origine du nom Harry Dickson, on site souvent les noms de Harry Taxon, le faire-valoir de Sherlock Holmes (le faux des A.G.W.D.), un certain Allan Dickson, héros d'un fascicule populaire de cette époque créé par Arnould Galopin, sur lequel nous avons peu de renseignements, et Henry Dickson, le célèbre et réel musicien français. La formule habituelle veut que le mélange de tous ces noms ait donné naissance au Harry Dickson que l'on connaît.
       Il est plutôt difficile de se prononcer sur cette origine, tant les indices sont douteux, ou trop facile à mettre en jeu. L'idéal restera le document administratif, type contrat, qui assurera définitivement la solution de ce problème auquel, finalement, on prend plaisir à chercher une réponse convenable.


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?? QUAND ??

       Les fascicules de Harry Dickson, tout comme les autres parutions sur support identique, n'ont pas été collationné par les bibliothèques de France, de Belgique... En effet, la fragilité du papier (pulpe de papier, d'où le nom d'origine américaine de ce genre de parution: pulp) n'a pas permis de les stocker dans de bonnes conditions, donc de les conserver. Nous nous retrouvons donc sans fiches techniques des bibliothèques pour ce qui est des dates, et sans l'intégralité de la série pour une étude complète.
       Heureusement, la recherche de passionnés et de collectionneurs a permis de faire avancer la machine, le regroupement d'informations étant favorable. Parfois, la jalousie et la concurrence de ces mêmes personnes ont ralenti, voire arrêté la machine.
       Les quatrièmes de couverture des numéros nous indiquent que 178 fascicules sont parus à un rythme bimensuel, sauf pour les 17 premiers et les 30 derniers qui paraissaient tous les mois. Le postulat concernant la fin de la série était basé sur la date du 10 mai 1940, date d'entrée des allemands en Belgique. Un simple calcul permet d'arriver au début de l'année 1931 pour ce qui est de la date de parution du premier numéro. Jacques van Herp s'est longtemps opposé (amicalement) à Peeters à propos de cette datation. En effet Peeters aurait eu entre les mains, l'espace d'un instant, le contrat de la maison d'édition belge, daté de 1929, stipulant que Jean Ray devait uniquement traduire les histoires du néerlandais.

       Nous voilà brutalement munis de dates qui semblent logiques et d'un contrat que personne n'a jamais revu.
       C'est un article de "La revue des lectures" de 1930 qui vient faire pencher la balance. En effet, un "critique" de cette revue vient nous annoncer que la (mauvaise) série des Harry Dickson à déjà publié 17 numéros. Or, 17 numéros à un rythme mensuel nous font retomber en 1929 pour ce qui est du début de la série. Ce n'est décidément pas simple.
       Alors, la datation 1931-1940 se révèle fausse; celle nous amenant au contrat de 1929, apparemment juste. Ce contrat, que l'on rêve de pouvoir lire, afin de rendre tangible cette aventure...
       Et puis, les choses se précisent. La recherche des fascicules en bibliothèque n'avait pas abouti, mais une trace, retrouvée par Gérard Dôle, s'affichera dans "Bibliographie de France, Journal Général & Officiel de la Librairie". On y trouvera toutes les parutions. Toutes, même celle des Harry Dickson en fascicules accompagnée des dates de parution. La machine est relancée, et pour de bon. Les passionnés, acharnés de l'oeuvre rayenne nous offrent des résultats impressionnants. L'intégralité des dates de parution, aussi bien pour les fascicules français, que pour les fascicules allemands ou néerlandais, est disponible dans l'excellent travail d'André Verbrugghen, pour le volume X des Sailor's Memories.
       Résultat des courses:
       Le premier fascicule allemand ([A.G.W.D.] la source) parait le 17 janvier 1907.
       Le dernier (n° 230), le 8 juin 1911.
       Le premier fascicule néerlandais ([Harry Dickson, de Amerikaansche Sherlock Holmes] la traduction) parait le 1er décembre 1927.
       Le dernier (n° 180), le 15 mai 1935.
       Le premier fascicule français [Harry Dickson le Sherlock Holmes Américain] parait le 1er janvier 1929.
       Le dernier (n° 178), le 1er avril 1938. Drôle de poisson d'avril...


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QUI EST L'AUTEUR DES HARRY DICKSON ?

       En 1960, Jean Ray cochera, sur le quatrième de couverture du numéro 178 (où tous les titres apparaissent) chaque aventure dont il se souviendra être l'auteur. Il annotera ainsi d'un petit trait 106 titres dont il revendiquait la paternité, et doutera pour certains autres qu'il fera suivre d'un point d'interrogation (numéros 29, 32, 44, 50, 51, 59 et 63). Attention ! dans la liste que l'on peut trouver dans L'Archange fantastique, les numéros douteux de la liste de Jean Ray seront mal retranscrits. Trente ans après, Jean Ray ne fera que quelques erreurs. Il était déjà certain à cette époque que plusieurs auteurs avaient écrit les aventures de Harry Dickson.
       Aujourd'hui, grâce à André Verbrugghen, qui a minutieusement analysé, comparé, autopsié les fascicules français, néerlandais et allemands, nous avons une "correspondance" entre les différents numéros des trois séries, sachant quel fascicule à été traduit, adapté ou totalement réécrit par Jean Ray. Il en résulte, dans la série des Harry Dickson français, que :
       Les n° 1 à 19 ont été traduits par un inconnu.
       Les n° 20 à 44 et 47 à 49 ont été traduits/corrigés par Jean Ray.
       Les n° 37, 45, 46, 50 à 62 ont été traduits/adaptés par Jean Ray.
       Le n° 63 à été traduit (chapitres I à V) et créé (le reste) par Jean Ray.
       Le n° 64 à été traduit (chapitre I) et créé (le reste) par Jean Ray.
       Les n° 65 à 69, 73, 75 à 77, 81 à 106, 111 à 178 ont été entièrement créés par Jean Ray.
       Les n° 70 à 72, 74, 78 à 80, 107 à 110 sont des rééditions des "Dossiers secrets du roi des détectives" (parus en 1907).

       Concernant les six fascicules relatant la saga de "Flax", le "Moriarty" des aventures de Harry Dickson, dont les numéro sont: 18, 19, 21, 22, 26 et 27, on cite pour nom de traducteur, non pas Jean Ray, mais Gustave Le Rouge. (l'auteur du "mystérieux docteur Cornélius", série de 18 fascicules parus en 1912-1913).
       La maison chargée de la distribution de ces fascicules sur la Belgique: la maison Hip(polyte) Janssens était située à Gand. Le contact avec Jean Ray a donc été facilité. Pour la France, la distribution a été assurée par les messageries Hachette.

       Pour Jean Ray, le premier travail de traduction (n° 20) date du 15 juin 1930 (parution). Quant à la première création (n° 63), elle date du 1er avril 1932. Le rythme de parution, chaque quinzaine, impose le même rythme d'écriture. Jean Ray racontera, lorsque l'on découvrit en 1959 qu'il était l'auteur des Harry Dickson :
       Je me mettais à ma machine à écrire qui pratiquement faisait cela toute seule, et moi je n'y étais pour rien. Je pratiquais l'écriture automatique. Cela se déclenchait brusquement à onze heures du soir, et à trois heures du matin mon Harry Dickson était terminé.
       Ce travail infernal allait se poursuivre durant sept ans. Travail indispensable, car travail alimentaire. N'oublions pas que Jean Ray sortait de prison, et qu'il était rejeté par beaucoup, aussi bien dans le domaine littéraire et éditorial que dans le domaine familial. C'était un homme seul, qui à livré un combat inégal avec le monde extérieur par l'intermédiaire de sa machine à écrire.


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INTEGRALE ?

       Aujourd'hui, la disponibilité des aventures de Harry Dickson fait gravement défaut. Aucun éditeur n'a publié l'intégralité des aventures. Les plus belles rééditions sont celles des années soixante (premières réimpressions) parues chez Marabout. Malheureusement, seulement 80 fascicules seront réédités et de plus, le texte sera réécrit. Des noms de personnages sont changés, de nombreuses phrases sont supprimées malgré leur importance pour une bonne compréhension de l'histoire.
       Dans les années quatre-vingts, les Nouvelles Editions Oswald se lancent dans une intégrale des aventures de Harry Dickson écrites par Jean Ray, principalement fondée sur la liste que Jean Ray cocha. 21 volumes reliés pleine toile avec jaquette illustrée (et reproduction d'une couverture d'un fascicule sur le quatrième de couverture) nous donneront 105 fascicules ; mais le travail ambitieux du départ dérape à plusieurs reprises. Outre la réutilisation des textes retouchés de chez Marabout et les erreurs de présentation sur les jaquettes, des erreurs d'attribution se glissent dans cette collection : le fascicule n°80 "La dame au diamant bleu" figure dans le volume 21 de "l'intégrale", or ce texte est un Laven du début de siècle. Même si ce fait avait été ignoré, on aurait pu, à l'aide d'une simple lecture, se rendre compte que Jean Ray n'était pas l'auteur de cette histoire, puisque le narrateur va, dans son récit, nommer Harry Dickson "Le Sherlock Holmes américain". Cela choque à la lecture car Jean Ray n'a jamais utilisé ce surnom. Notons enfin que dans certains fascicules des années trente il n'y avait pas une histoire mais plusieurs petites aventures de Harry Dickson, sans aucune relation entre elles. Dans sa réédition, NéO à oublié de nous restituer le récit "La chambre hantée" qui composait avec "Le véritable secret de Palmer-Hotel" le fascicule numéro 155.
       Parallèlement à l'édition NéO, qui débute en 1984, les éditions Corps 9 vont publier tous les récits délaissés par NéO, donc tous les récits non écrits par Jean Ray (normalement). Ainsi, les heureux possesseurs des deux collections ont l'intégralité des aventures de Harry Dickson par Jean Ray. Comme nous avons vu qu'il demeurait des erreurs d'attribution dans la collection NéO, quelques titres de Jean Ray sont donc parus chez Corps 9. En ce qui concerne le texte, chez cet éditeur, n'ont été corrigés "que les coquilles et les barbarismes trop criants".


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LE POLICHINELLE D'ACIER

       C'est le titre qui est inscrit en page trente du fascicule numéro 178 de la série. Jean Ray en écrira le premier chapitre. Nous sommes en 1938. Trois ans auparavant, la série néerlandaise - traduction des A.G.W.D. - se clôturait par le numéro 180, et l'on pouvait lire à la trentième page:
       Harry Dickson interrompt ses histoires policières passionnantes jusqu'a ce que des jours meilleurs puissent se présenter pour beaucoup de ses nombreux admirateurs (traduction du néerlandais par André Verbrugghen - Sailor's Memories X).
       Pour la série française, aucun avertissement n'est venu informer le lecteur. Celui-ci s'est rendu à son kiosque en ce mois de mai 1938, pour découvrir que son fascicule favori n'était pas paru et qu'il ne le serait pas non plus le mois suivant, et ce pour longtemps.

       Pour réélement comprendre toute l'histoire, les dates, les auteurs, il faut sûrement être détective privé et s'appeler Harry Dickson. Quelques indices nous font encore défaut et quelques autres seront découverts, un jour, au hasard d'un tiroir, d'une malle, d'un grenier. Beaucoup de passionnés se sont débattus dans les méandres de cette aventure, et c'est grace à eux que nous en savons autant aujourd'hui. On trouvera ci-dessous une liste des ouvrages de référence qu'il faut consulter pour en savoir plus et qui ont servi de support à cet article.

  • André Verbrugghen & Francis Goidts, Sailor's Memories X.
  • Jacques van Herp, Harry Dickson, 2 vol., coll. "Ides... et autres", Editions "Recto-Verso" (Bruxelles), 1981-1983.
  • Coll., Cahier de l'Herne n°38, Editions de L'Herne (Paris), 1980.
  • Jean-Baptiste Baronian & Françoise Levie, L'Archange fantastique, Librairie des Champs-Elysées (Paris), 1981.

    Ainsi que les préfaces et postfaces de :
  • Harry Dickson - L'intégrale, Editions NéO (Paris), 1984-1986.
  • Les aventures de Harry Dickson, Corps 9 Edition (Troesnes), 1983-1990.


    © Hervé LOUINET, reproduit avec son autorisation.