L'aventure Harry Dickson est sans doute l'expérience littéraire la plus insolite dans la carrière de Jean Ray. Pourtant, c'est aujourd'hui largement grâce à ces textes que le grand public connaît son nom. Le personnage de Harry Dickson n'est pourtant pas au départ issu de sa fertile imagination. Les quelques lignes ci-après vous présentent de manière succincte la naissance du personnage et la place qu'y prit à sa manière le Maître de Gand. Le webmaster vous recommande néanmoins, pour connaître la petite histoire dans ses moindres détails, de lire l'article écrit spécialement pour ce site par Hervé Louinet.


Classique et inclassable...
        Qu'est-ce qui distingue Harry Dickson des autres aventures policières de même acabit ? ce n'est certes pas l'originalité de ses personnages: le détective aux cellules grises brillantes, le jeune assistant, intrépide tout autant qu'étourdi, le superintendant de Scotland Yard qui a toujours deux longueurs de retard sur le détective, la gouvernante pragmatique et dévouée... c'est plutôt l'univers dans lequel baigne le récit qui fait son charme : des organisations criminelles implacables, des assassins monstrueux, des sectes exotiques aux rituels sanglants, des machines infernales, une exploration toujours plus réaliste des bas-fonds londoniens comme des manoirs de la gentry du Middlesex... La qualité n'est pas à chercher dans l'intrigue policière prise isolément (n'oublions pas qu'il s'agit de textes écrits dans l'urgence), mais dans l'ensemble de la série, qui hésite constamment entre le genre policier, le fantastique, la science-fiction et l'espionnage. Une aventure extraite de l'ensemble peut décevoir le lecteur, mais au fil des pages, on ne peut s'empêcher de s'attacher aux personnages et à leur univers...


Au commencement
       Revenons sur les circonstances de la naissance du Sherlock Holmes américain...        La série, à l'origine (1907-1908) en langue allemande, n'était au départ qu'une série de fascicules proposant des aventures apocryphes de Sherlock Holmes lui-même (Les dossiers secrets du roi des détectives), de facture assez pauvre. Les ayant-droits d'Arthur Conan Doyle ayant interdit aux éditeurs l'utilisation du nom prestigieux, ces derniers durent rebaptiser en catastrophe leur héros, qui devint Harry Taxon, disciple de Sherlock Holmes.
       A partir de 1927, Hip Janssens, éditeur gantois, décide de publier ces fascicules, et les fait traduire en néerlandais. A cette occasion, le détective trouve un nouveau nom, grâce auquel il passera à la postérité: Harry Dickson, le Sherlock Holmes américain.


Jean Ray entre en scène
       Une version française est programmée à partir de 1929, et l'éditeur se met alors en quête de gratte-papiers anonymes pour réaliser la traduction en français de l'édition néerlandaise... il ne s'agit après tout que d'une édition bon marché d'une série populaire... de la littérature de gare, comme on dit.
        Parmi ces traducteurs de l'ombre, Janssens recrute Raymond De Kremer, qui voit là l'occasion d'arrondir ses fins de mois. Jean Ray s'attèle à sa fidèle machine à écrire et entreprend la traduction de quelques textes... mais il était écrit que Harry Dickson connaîtrait un autre destin sous la plume du Gantois génial : au bout d'une quarantaine de fascicules (où il n'effectuait qu'un travail de traduction strict émaillé de quelques adaptations et corrections), et devant la médiocrité des histoires, il se refuse à continuer de traduire les fascicules originaux. Comme il s'est toutefois attaché aux personnages de Dickson et de son élève Tom Wills, il choisit tout bonnement d'écrire de nouvelles histoires, le tout dans le même laps de temps que lui prenait la traduction : un travail nocturne d'une poignée d'heures pour chaque fascicule (ce qui force l'admiration lorsqu'on sait que chaque livraison représente quatre-vingts pages dactylographiées).
       L'éditeur ne s'en émeut pas outre mesure, mais le contraint néanmoins à fonder son récit sur les illustrations originales de couverture, signées Roloff, et populaires parmi les lecteurs.
        C'est ainsi qu'entre 1931 et 1938, 106 fascicules imaginés par Jean Ray (parmi les 178 que comporte la série française !) paraissent dans les kiosques, sans que jamais une seule fois le nom de leur véritable auteur apparaisse en quelqu'endroit que ce soit... aucun document n'attestera jamais de cette aventure, pas même un contrat. La dernière aventure de Harry Dickson signée Jean Ray (Le polichinelle d'acier) aurait dû paraître en 1938, mais l'éditeur ayant décidé d'arrêter la collection, le tapuscrit restera inachevé.


"Harry Dickson ? Mais c'est moi, ça !"
                                  (Jean Ray à Henri Vernes, 1959)
        Ce n'est qu'au début des années 60 que Jean Ray, alors salué comme le plus grand auteur fantastique vivant, coche sur une liste à la demande d'Henri Vernes (son ami, créateur de Bob Morane) les fascicules dont il revendique la paternité... ses souvenirs étaient cependant peu précis sur certains points. Des études comparatives, en particulier celle d'André Verbrugghen, ont permis par la suite de réaliser une typologie précise entre créations pures, partielles ou totales, traductions, adaptations, ou corrections. Les aventures de Harry Dickson sont depuis lors constamment rééditées et traduites... et frappées du label "Jean Ray" (quelquefois un peu abusivement).


Le coin des spécialistes

       L'histoire de la naissance de Harry Dickson est évidemment plus complexe que cela. Pour en savoir plus, vous pouvez vous référer au long article très complet d'Hervé Louinet, un grand admirateur de Jean Ray, qui dissèque l'historique de la série et de ses publications.