Ce texte est un article de Jacques van Herp qui analyse certains textes signés John Flanders, réputé presque exclusivement auteur d'aventures pour la jeunesse, sous l'angle fantastique. Cette étude démontre à ceux qui rejetteraient l'idée d'unité dans l'oeuvre de Raymond De Kremer qu'il est loin d'être pertinent d'opérer une dichotomie rigide entre les textes publiés sous chacun des deux pseudonymes.


John Flanders auteur fantastique
par Jacques VAN HERP


John Flanders écrivit des contes fantastiques, la plupart, mineurs, sont du Jean Ray courant, pareils à ces contes qui ont empli Le Carrousel des Méléfices, ou Les Contes noirs du Golf. Mais John Flanders possède son domaine propre. c'est chez lui que reviennent sans cesse les terres hantées, sises aux confins du monde, porte de l'enfer, ou survivance de civilisations archaïques et démoniaques: Le Formidable Secret du Pôle, le Pays Maudit, le Pays Hanté, etc...
Ce fantastique cousine davantage avec Harry Dickson - Le Lit du Diable - qu'avec le Jean Ray de la stricte observance. Encore que le Psautier, quand le navire survole un paysage démoniaque et sous-marin, relève de cette mouvance.
C'est un fantastique d'aventures, pareil à celui des Weird Tales. Quatre Contes du Whisky y parurent entre 1930 et 1935, sous la signature John Flanders. Jean Ray put donc prendre connaissance de cette école, dont l'influence peut être relevée dans le rythme et la construction de certains John Flanders et Harry Dickson : l'événement prévalent sur l'explication et la justification, les monstruosités données comme acquises, et les références à la mythologie chrétienne se dissipant rapidement.

A quoi s'ajoute l'obsession des terres hantées du Golfe de Carpentarie et de l'embouchure du Flinders, royaume de la Fata Morgana, monde des mirages, où les villes d'Europe surgissent dans le ciel des antipodes... ces images et ces propos, avec le chinois invariablement nommé Su, pullulent dans les Contes du Fulmar et dans des textes, souvent anonymes, épars dans mille publications. Et se retrouvaient dans la bouche de Jean Ray, lorsqu'il consentait à se montrer bavard, et à ne pas jouer son personnage de mauvais garçon.
Alors ? S'agit-il d'une expérience personnelle ? On peut imaginer Jean Ray, témoin d'un de ces mirages, et en demeurant frappé à jamais. La chose n'a rien d'impossible. La BRT, préparant une émission sur Jean Ray-John Flanders, a découvert, entre autres choses, que vers 1910, Jean Ray accumula des dettes, énormes pour l'époque, et que la famille dut régler.
Il fut sans doute embarqué sur un vapeur, et expédié se faire oublier au loin. Mais il était plus glorieux de parler d'atavisme, de vocation maritime...

Le Pays Hanté parait être un second crayon du "Fleuve Flinders", figurant dans Les Derniers Contes de Canterbury, et une première esquisse de ce roman de John Flanders L'Ile Noire.
Le schéma est le même: un paisible bourgeois allemand part pour l'Australie et là se laisse prendre à la magie du Flinders. Les événements, les références, les noms même se retrouvent dans le Jean Ray comme dans le John Flanders.
La différence apparaît dans la magie des terres. John Flanders la peuple de démons et d'un immortel à l'anthropophagie goguenarde. Jean Ray fait surgir des roseaux un seul monstre, assez paisible du reste. Puis la petite maison blanche aux parfums d'Europe. Ensuite la voie bifurque -c'est la femme ensorceleuse, la vision de l'Europe, et le retour chez Jean Ray. La découverte de l'immortel et des démons chez John Flanders. Chez lui les héros ramènent un diamant bleu, chez Jean Ray c'était une tête en or.

A tout prendre, il est permis de préférer le Pays Hanté, aux personnages aussi vivants, aux aventures plus étonnantes ... S'il n'y avait la conclusion. Le chapitre précédent se terminait par l'ordre dans lequel les aventurier allaient être consommés ... Et tout se dénoue en trois pages. On imagine l'auteur s'arrêtant et se demandant comment se dépêtrer de son histoire. Non que l'imagination lui fit défaut ... Mais les Pères d'Averbode, et les divers censeurs auraient trouvé à redire à des développement basés sur l'immortalité magique et l'anthropophagie médicale.
Il en va comme des Harry Dickson, il sait d'où peuvent venir les coups bas, et il se garde de ces bulletins confidentiels autant que malfaisants destinés aux bibliothécaires des écoles et des collèges, et capables de faire bannir un auteur des rayons.
Notre époque connait toujours semblables étranglements, certains se souviendront des quelques obscurs, exerçant dans Fiction leur terrorisme en ecrivant "avec du suc d'opium sur des feuilles de plomb".

Alors Jean Ray bâcle, mais avec plus de virtuosité que dans bien des Harry Dickson, avec l'aisance et l'astuce d'un conteur de Weird Tales. Nous sommes privés de développements espérés, mais le diamant retrouvé dans la poche d'un jeune graçon authentifie l'aventure. Ce n'était pas un rêve, ce fut la réalité, vécue sans doute dans un temps parallèle, dans un univers où se transportèrent les doubles des personnages.


© Jacques VAN HERP, reproduit avec son autorisation.