L'étrange lueur verte

Ce texte, figurant dans le guide de l'enseignant 1999/2000 édité par Librio consacré au genre fantastique, est une piste de cours qui s'appuie sur le volume composé de L'étrange lueur verte et Les mystérieuses études du Dr. Drum, deux aventures de Harry Dickson. Ce texte est reproduit à titre d'exemple de travail scolaire possible sur Jean Ray, avec la très aimable autorisation de son auteur, Guy Astic.


Niveau - Collège/Lycée (4e-3e-2nde)

De quoi s'agit-il ?

Harry Dickson et son jeune associé Tom Wills sont une fois de plus entraînés dans des aventures "dépassant l'entendement ordinaire" (p. 10). Dans L'Étrange lueur verte (1932), un faisceau meurtrier transforme quiconque en torche humaine et brûle tous les matériaux - dans Les Étoiles de la mort, des pyromanes invisibles agissent ainsi (Librio n° 56). D'abord représentée comme une force indéfinissable, la lueur rentre rapidement dans les normes du merveilleux/de la modernité scientifique sous l'action du détective préféré de Scotland Yard. Le terme "étrange" du titre prend tout son sens ici, dans l'acception todorovienne : le mystère est levé, l'incroyable rendu à des explications, aussi invraisemblables soient-elles. Il en va de même pour Les Mystérieuses études du Dr Drum (1933). Confrontés à l'énigme de la quatrième dimension qu'un savant aurait résolue, laissant la porte ouverte à des créatures d'outre-monde dignes de Lovecraft, Harry Dickson et son second vont d'illusion en désillusion : tout n'est que grandiose mystification et trompe-l'œil à grande échelle, dans une histoire où les détectives ne cessent d'observer et d'être observés à leur insu. Et le retour à l'ordre logique est décevant : Dickson se plaint de voir le fabuleux plan du Dr Drum se réduire à "une question de gros sous".

Un double constat s'impose : l'univers des aventures d'Harry Dickson est souvent truqué ; les chausse-trappes, les apparences trompeuses sont une façon de dire la manipulation tacite dont fait l'objet le lecteur… qui en redemande. En même temps, la facilité avec laquelle le surnaturel s'immisce dans la réalité prouve que, pour Jean Ray, le monde est par essence fantastique ; l'irruption de l'inadmissible est presque chose naturelle. Elle signifie que le réel est à double face et que son revers n'est jamais bien loin.


Dominantes littéraires

Vendues en fascicules par un éditeur de Gand, les aventures d'Harry Dickson obéissent à des contraintes : la périodicité bimensuelle, l'obligation de respecter le thème des illustrations de couverture réalisées par Roloff pour une série allemande apocryphe de Sherlock Holmes. On peut parler alors de littérature de stéréotypes qui s'inspire essentiellement des techniques narratives du roman à énigme anglo-saxon, des fictions d'Allain et Souvestre (Fantômas). L'action commence in medias res, le rythme est soutenu, les scènes attendues ne manquent pas (Dickson face à son double robotique, la filature, les situations sans issue en apparence, le renversement des rôles), les outrances dans la cruauté et les moments d'horreur pure ne sont pas oubliées, concentrés en des séquences-chocs et des descriptions flashes qui correspondent aux gros plans cinématographiques - à l'instar du cadavre carbonisé et de la décapitation du fourbe dans L'Étrange lueur verte, du retour du "mort-vivant" dans Les Mystérieuses études du Dr Drum. La prose use volontiers des formules toutes faites, d'expressions superlatives et hyperboliques et multiplie les notations sensitives, autant d'éléments qui frappent l'esprit du lecteur. Jean Ray s'adonne à un (sous-)genre littéraire à part entière: celui des détectives de l'étrange. L'enquête y est reine, mais elle suit les méandres d'un carrefour imaginaire où la fiction de l'intellect mis à l'épreuve croise la fiction versée dans l'irrationnel. À force de déchiffer par-delà les apparences, le superdétective remonte aux sources inquiétantes du mystère, fraye avec le paranormal. Les frissons sont garantis, les détours dans les ténèbres fréquents, l'occulte omniprésent. Et ils sont nombreux ces détectives de l'étrange, avec lesquels on pourra comparer Harry Dickson : on songe à Dupin de Poe, Carnacki d'Hodgson, Harry Erskine de Graham Masterton, Harry d'Amour de Clive Barker.


Personnages

La caractérisation du personnage d'Harry Dickson doit requérir l'attention. À partir des deux nouvelles et d'autres extraits, il s'agira de déterminer comment se constitue un mythe littéraire et populaire : des traits distinctifs, une panoplie reconnaissable immédiatement, une parole singulière avec des expressions-clefs ; une distribution particulière (il est le centre des regards et des discours des autres personnages) et des fonctions actantielles réglées. Agissant souvent d'emblée (il téléphone en pleine nuit dans une tour où la police ne soupçonnait pas l'existence d'un téléphone) - à la différence notable de Sherlock Holmes qu'on vient solliciter à domicile -, Dickson s'avère être un homme d'action et moins de réflexion, même s'il force en permanence l'admiration de son élève Wills. Les méchants offrent la possibilité de travailler sur le portrait-caricature et sur le grossissement des traits. On demandera ainsi d'établir la liste des "ingrédients" nécessaires pour croquer un scélérat. Les éléments trouvés seront réinvestis en production écrite - par exemple, la rédaction du portait-robot du prince Sadoûr et du Dr Drum.


Thèmes et extraits

On procèdera à un relevé des motifs fantastiques qui alimentent "la mystérieuse peur des grands mystères" (p. 123). La figure du savant fou, comme il y a dans Sherlock Holmes celle du génie du crime (le Professeur Moriarty), se détache dans les deux récits. Il est à l'origine d'inventions redoutables qui concurrencent des représentations horrifiques (une machine à ressusciter les morts, une autre à créer des androïdes…). Il ne faut pas négliger l'atmosphère des textes. La prégnance morbide de l'espace et du cadre sur le comportement criminel ou violent est indéniable. Londres apparaît ainsi comme un obscur théâtre monté sur des réseaux souterrains, des restes gothiques et des friches urbaines.


Prolongements

On comparera Jean Ray à Sherlock Holmes imaginé par Arthur Conan Doyle. On pourra choisir Une Étude en rouge (Librio n° 69) ou Un Scandale en Bohême (Librio n° 138). Il sera pertinent de montrer, par-delà les ressemblances (Baker Street, l'art du travestissement, l'associé…), les méthodes et les styles différents des détectives, Dickson prônant moins l'exercice de la déduction que son prédécesseur, même s'il y fait allusion (L'Étrange lueur verte, p. 22). On évoquera les notions de pastiche et d'intertexte.

On pourra projeter un épisode de la série Aux Frontières du réel (X-Files), sans puiser dans les épisodes consacrés à la trame conspirationniste ou extraterrestre. L'attention sera fixée sur le dédoublement des détectives, Mulder le "fantaisiste", Scully la rationnelle, sur la fonction du prégénérique, équivalent aux ouvertures des textes d'Harry Dickson, sur la représentation ambiguë ou pas du surnaturel. Un travail de rédaction pourra consister à transcrire sous forme de récit, en passant par l'étape scénaristique (à partir d'un modèle), le prégénérique.


© Guy ASTIC, reproduit avec son autorisation.



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